En déclin depuis plusieurs année, la dystopie retourne peu à peu sur le devant de la scène. L'adaptation en série de La Servante Écarlate, puis la publication en France d'Absolu, Les Mobilisés de Margot Dessenne, replacent ce genre boudé sous les feux des projecteurs.
Pour ma part, j'ai toujours eu une affection toute particulière pour la dystopie. Elle a bercé mes lectures d'enfance et d'adolescence.
C'est pourquoi je voulais vous proposer un petit voyage au coeur de 7 oeuvres qui l'ont façonnée.
Prêts pour remonter le temps ?
Qu'est-ce que la dystopie?
Tout d'abord, un petit cadrage n'est peut-être pas inutile.
Tout le monde connaît sans doute le mot "utopie", qui désigne une société idéale. C'est bien simple, la dystopie c'est tout son inverse. Car après tout, ce qui est une utopie pour certain, est forcément vécu comme une dystopie pour d'autres.
Elle-même sous-genre de l'anticipation, qui entre dans la science-fiction, la dystopie extrapole des travers de notre société actuelle pour nous projeter dans le futur morose qu'ils nous préparent si l'on n'y prend garde.
En cela, c'est un genre qui se veut à la fois visionnaire (c'est le domaine de l'anticipation), et très politique. Les écrivains de dystopie ont souvent utilisé leurs oeuvres pour analyser, mais aussi dénoncer des caractéristiques sociales, scientifiques ou plus récemment écologiques qui risquent de nous mener au bord du gouffre.
Bien sûr, comme tout genre à la mode, il a aussi été utilisé dans un but purement mercantile, qui brillait par son absence de vision politique (les exemples sont hélas assez nombreux...). Ou encore comme simple cadre pour développer une histoire, sans réflexion supplémentaire (ce qui n'est pas un mal en soit, c'est juste différent). Mais ici, je voulais me focaliser sur ce qui caractérise la dystopie en premier lieu, son essence.
Parce que oui, on peut écrire des histoires à la fois très distrayantes, pleines d'aventures, mais qui comportent aussi un message, sans se montrer (trop) moralisatrices 🙂
La dystopie comprend elle-même différents sous-genres, comme le post-apocalyptique ou le cyberpunk. Et si vous avez lu les Brigades du Réveil, vous savez que c'est un univers que j'affectionne tout particulièrement ^^
Pour mieux comprendre ce qui, à mon sens, caractérise la dystopie, j'ai choisi 7 oeuvres qui l'ont façonnée pour qu'elle devienne ce qu'elle est aujourd'hui.
Beaucoup de théoriciens font remonter les débuts de la dystopie aux Voyages de Gulliver, pour ses aspects de satire sociale et politique. Je vais remonter moins loin, pour m'attarder sur les parents de la dystopie moderne.
1 - Le Meilleur des Mondes, d'Aldous Huxley
Publié en 1932, Le Meilleur des Mondes dépeint une société dans laquelle les individus sont conditionnés dès leur plus jeune âge pour intégrer les principes du régime politique qui les dirige. Pour cela, ils écoutent des slogans et des mantras dans leur sommeil.
Pour leur éviter de sombrer dans la morosité et de trop penser, ils consomment aussi une drogue, la Soma. Cette drogue est censée leur éviter toute souffrance.
Enfin, dans ce monde, la procréation naturelle n'est plus : les bébés sont conçus artificiellement et appartiennent dès leur naissance à des castes spécifiques. Ils reçoivent des traitements dès le stade d'embryons pour les adapter à leur futur rôle dans la société.
De ce fait, Le Meilleur des Mondes introduit plusieurs sujets qui seront au coeur des futures dystopies : l'eugénisme, le conditionnement et les castes.
Le roman dénonce une société où tout est uniforme et la prise de pouvoir des machines et de la technologie. Aldous Huxley défend l'idée qu'elles empêchent la libre-pensée. En contrepartie, il valorise l'individualisme et la liberté.
Il fait partie des textes fondateurs de la dystopie moderne. En terme de plaisir de lecture, en revanche, je l'ai trouvé assez ennuyant à lire ><
2 - 1984, de George Orwell
Publié en 1949, 1984 est l'un des romans les plus époustouflants en matière d'anticipation !
Cette dystopie décrit un monde totalitaire, dans lequel la liberté d'expression n'existe plus. Tous les citoyens sont surveillés par le biais de télécrans (ça ne vous rappelle rien ? On est en 1949, je le rappelle...) et partout des affiches proclament que "Big Brother vous regarde". De là à faire un parallèle avec tous nos appareils connectés qui permettent de retracer le moindre de nos mouvements...
Le gouvernement distille sa propagande via un "ministère de la vérité" chargé de vérifier toutes les communications et de corriger l'Histoire. Il appréhende ceux qui pensent différemment grâce à une "police de la pensée". La délation est encouragée. Des mots sont même supprimés du vocabulaire, afin d'ôter aux gens le pouvoir de penser et analyser la réalité. À la place, on utilise la Novlangue, pour édulcorer les problèmes.
Là encore, difficile de ne pas penser aux expressions actuelles comme "quartiers sensibles", "sans-abris" ou encore "milieux défavorisés", qui semblent faire croire que ces situations sont des états de fait, des éléments contre lesquels on ne peut rien, et non les résultats de choix politiques précis.
Contrairement à Aldous Huxley, George Orwell était issu d'un milieu prolétaire, et a toujours été un homme de gauche. Dans ce roman, il défend le prolétariat.
Ce livre dénonce le totalitarisme (inspiré des dictatures nazies et fascistes) et anticipe de nombreuses évolutions de manière assez visionnaire.
Les thèmes de la surveillance et de la manipulation de la vérité ont ensuite beaucoup été utilisés dans les dystopies.
Côté lecture, j'ai eu du mal à rentrer dans l'intrigue au départ, mais je l'ai trouvé bien plus agréable à lire que le précédent, plus immersif ^^
3 - Farenheit 451, de Ray Bradburry
Cette dystopie a été publiée en 1953.
Ray Bradburry fait partie des auteurs qui ont bercé mon enfance (je ne saurais que vous recommander les Chroniques Martiennes), au même titre qu'Isaac Asimov ou Philipp K. Dick.
Farenheit 451 fait référence à la température à laquelle le papier prend feu. Le livre dépeint un monde dans lequel les pompier, au lieu d'éteindre les feux, sont chargés de brûler les livres.
La référence aux autodafés perpétrés par le nazisme est évidente.
Dans cet univers, la connaissance est jugée subversive et dangereuse et la possession de livres est prohibé. De la même manière, l'Histoire a été oubliée, et avec elle, les origines qui ont façonné cette société.
Pour les aider dans leur mission, les pompiers sont accompagnés de limiers, des chiens robots.
Cette dystopie imagine aussi d'autres technologies, comme un coquillage qu'on glisse dans l'oreille pour communiquer avec d'autres personnes.
Inutile de dire qu'en 1953 le téléphone portable n'existait pas.
Cette dystopie dépeint un monde très sombre, presque nihiliste. Je l'ai choisi car c'est le premier qui introduit des robots (du moins dans ceux que j'ai lus).
Le livre se rapproche d'un conte philosophique, avec certains passages presque poétiques. Dans mon souvenir, certains chapitres étaient un peu longuets, mais j'étais sans doute trop jeune pour les apprécier.
4 - Soleil vert, de Harry Harrison
On fait un petit bond dans le temps, puisque cette dystopie a été publiée en 1966.
Là où les 3 précédents romans dénonçaient plutôt la confiscation du savoir et les régimes totalitaires, Soleil Vert introduit des aspects plus sociétaux et environnementaux.
Soleil Vert dépeint un monde où la surpopulation est telle que les ressources sont insuffisantes.
Les riches vivent dans le luxe, tandis que les pauvres subissent les pénuries d'eau et de nourriture, et vivent entassés dans des appartements exigus. Les "défavorisés" vivent des rations qu'on veut bien leur accorder, et la violence est omniprésente.
Les conditions de vie sont si dures, que certains attendent avec impatience la fin du monde, annoncée pour bientôt.
Comme on peut le voir, ce livre développe plusieurs thématiques qui seront reprises dans les futures dystopies.
Pour info, le film adapté de ce livre met en avant une nourriture confectionnée à partir du sacrifice (non consenti...) des plus âgés. Ce n'est pas le cas du roman.
5 - Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, de Philipp K. Dick
Cette dytopie a été publiée en 1968. Après l'adaptation (encore une fois très libre, puisque l'histoire est différente) de ce livre en film dans Blade Runner, le roman a par la suite pris ce titre.
Dans ce livre, les rares humains qui vivent encore sur Terre sont ceux qui n'ont pas eu les moyens de s'exiler sur Mars. La planète a été ravagée par une guerre nucléaire.
Ces gens qui restent en arrière sont dévastés par la morosité. Certains, trop irradiés, sont interdits de reproduction et stigmatisés.
Pour oublier le vide de leur existence, ils cherchent à se divertir. Par exemple, ils laissent tout le temps la télévision allumée. Posséder un animal ou un robot d'animal (pour les moins fortunés, puisque les animaux ont presque tous disparu eux aussi) est encouragé par cette société, car source de bien-être.
Le livre raconte l'histoire d'un chasseur d'androïdes récalcitrants qui rêve de remplacer son mouton électrique par un vrai. Il doit capturer des androïdes qui se sont enfuis de Mars pour venir sur Terre. Dans son enquête, il apprend qu'il est parfois difficile de discerner un humain d'un androïde.
Les questions de la différence entre l'homme et le robot, dans ce livre, sont plutôt d'ordre philosophique et liées à la violence intrinsèque de l'homme.
En revanche, elles préfigurent celles qui concernent la singularité, et la conscience supposée d'une future intelligence artificielle (qu'on voit plus dans le film, mais il est sorti en 1982).
C'est à mon avis l'un des préludes au titre suivant.
6 - Neuromancien, de William Gibson
Nouveau bond dans le temps avec ce livre, fondateur du sous-genre nihiliste cyberpunk, publié en 1984.
On y retrouve tous les marqueurs de ce qui définira le cyberpunk. Un monde ultra capitaliste dominé par des mégacorporations, avec des drogues de synthèse, des augmentations cybernétiques, l'apparition du cyberespace (appelé la Matrice, si ça peut vous rappeler quelque chose) et des pirates informatiques, les IA...
Pour le reste, je ne peux pas vous en dire beaucoup plus, parce que je vous avoue que je ne l'ai pas lu ><
Mais c'est grâce à lui qu'on a vu apparaître toutes les oeuvres cyberpunk (dont Matrix, bien sûr). Et je ne pouvais pas l'omettre, sachant que j'ai moi-même écrit une série cyberpunk, les Brigades du Réveil ^^
7 - La servante écarlate, de Margaret Atwood
Je voulais terminer ce tour des oeuvres fondatrices de la dystopie par un livre de Margaret Atwood, mère de la dystopie moderne. Ses livres marquent un tournant dans le genre en offrant des histoires plus intimistes, avec des préoccupations plus sociales et féministes.
Ce livre a été publié en 1985.
Vous connaissez sans doute son adaptation en série télévisée ?
Ce roman dépeint une société dictatoriale dominée par la religion. Dans un monde où la pollution a rendu la majeure partie des gens infertiles, les citoyens sont classés dans des castes très spécifiques et portent des habits qui correspondent à leur groupe d'appartenance. Les hommes dominent les femmes, mais sont également victimes de ségrégation sociale. Ces dernières sont soit des servantes, soit des génitrices. On les oblige à des rapports pour concevoir des enfants qui seront ensuite élevés par des familles riches.
Les gens s'espionnent entre eux, se cachent, se méfient des autres, susceptibles à tout moment de les dénoncer.
Les contrevenantes, les infertiles et les homosexuelles sont expédiées dans des colonies, où elles doivent trier des déchets toxiques et en meurent.
Ce roman traite de l'asservissement des femmes, traitées comme des objets et privées de droits, et de l'embrigadement des plus jeunes pour épouser les idées de la société. La religion omnipotente est l'antagoniste principal.
Il met en scène une résistance et une solidarité féminine.
Avec ces sept oeuvres, je crois qu'on couvre à peu près tous les sujets abordés dans les dystopies.
Ce genre n'en est pas moins, par son essence, en perpétuel renouvellement.
Il sert à anticiper et dénoncer les travers de notre société. Donc tant que de nouvelles inventions, ou une évolution des moeurs, ou des changements politiques feront leur apparition dans notre monde, la dystopie trouvera les failles pour essayer de voir où elles peuvent nous mener.
En ce sens, certains qualifient la dystopie comme un genre conservateur. Pour ma part, je crois qu'essayer de voir au-delà du discours qu'on nous sert est toujours salvateur. Ça s'appelle avoir l'esprit critique ^^
Et vous, qu'en pensez-vous ? Est-ce que vous aimez les dystopies ?